L’innovation passera de plus en plus par des collaborations efficaces entre grands groupes et start-ups (ou PME innovantes). Mais de telles collaborations sont plus faciles à imaginer qu’à mettre en œuvre...
Bardés de processus en long, en large et en travers, les grands groupes sont enfin en train d’admettre qu’ils ne sont plus aussi innovants qu’ils devraient l’être, et que ce n’est pas près de s’arranger. Focalisés sur l’excellence opérationnelle (à grand renfort de job descriptions, de KPI* et autres RACI*), la prise de risque, l’agilité et le fonctionnement transverse interdisciplinaire « out of the box » ne sont généralement pas leurs principales qualités, et pour cause.
Comment faire alors, sachant que l’innovation est plus que jamais la condition de leur compétitivité et de leur pérennité? Simple: une solution consiste à développer des partenariats avec des start-ups qui elles, sont innovantes par définition. La combinaison de leur créativité et des ressources financières, techniques et humaines d’un grand groupe sera de toute évidence gagnante pour tout le monde.
Excellente idée effectivement que l’innovation collaborative (ou open innovation). Qui présente cependant quelques défis de taille dans sa mise en œuvre.
David contre Goliath
Le premier défi est une évidence. Une relation de parité entre un grand groupe et une start-up (100 000 salariés d’un côté, 10 de l’autre) est totalement illusoire. Au départ, l’arrogance sera souvent au rendez-vous côté grand groupe, face à un mélange de convoitise et de peur côté start-up (pour qui le grand groupe peut prendre la forme d’une « vache à lait à tête de requin »). Or, la proximité et la possibilité d’interagir hors de relations de travail structurées sont des conditions nécessaires de succès d’un travail collaboratif.
Une telle proximité est plus difficile à atteindre en l’absence de parité, et ce manque devra être compensé par beaucoup de respect, de bienveillance et d’empathie mutuels.
Des cultures opposées
Dans la conception d’un projet, un grand groupe part de sa vision stratégique ou de l’objectif visé pour ensuite mettre en place des jalons intermédiaires – ou, pour le dire autrement, part de l’effet souhaité puis met en place les causes. Une start-up fonctionne à l’inverse : elle va partir des ressources dont elle dispose (un prototype, un brevet, son premier client, son réseau relationnel) pour se fixer un cap provisoire et imaginer la prochaine étape qui lui permettra a minima d’être encore en vie dans six mois, et si possible de se développer (1).
Au-delà de cette différence fondamentale, le rapport au temps (en particulier la vitesse de prise de décision), le rapport au risque, la nature de l’engagement de chacun (entrepreneur vs salarié) et la définition du succès sont autant de pierres d’achoppement possibles.
Collaborer en excluant…
Last but not least, qui dit innovation dit le plus souvent brevets et propriété intellectuelle. Or la propriété, c’est le droit d’exclure.
La start-up comme le grand groupe peuvent ainsi se retrouver tiraillés entre la volonté de collaborer (qui implique le partage de certaines données ou idées) et la peur de se faire déposséder d’atouts clés, qui incite à cacher son jeu.
La propriété intellectuelle, pour être utile et valorisée, doit être à la fois protégée et partagée, ce qui est un bien joli paradoxe.
Collaborer s’apprend!
Mon intention avec cette liste d’obstacles n’est certainement pas de décourager quiconque, mais juste de souligner qu’il est exagérément optimiste d’imaginer que les choses vont naturellement, spontanément « bien se passer ».
La collaboration entre un grand groupe et une start-up ou PME innovante présente des défis relationnels et humains qui n’ont rien à envier avec, disons, ceux posés par la fusion d’une entreprise française et d’une entreprise japonaise. Avec cette différence qu’aujourd’hui, tout le monde anticipera les difficultés d’ordre culturel d’un tel rapprochement franco-japonais et cherchera à s’en prémunir, alors que celles que je viens de citer sont encore minimisées ou ignorées dans les projets d’innovation collaborative entre très grandes et très petites structures.
Le succès d’une démarche d’innovation collaborative passe par une prise de recul et une évolution culturelle au sein des grands groupes, par une refonte des interfaces externes de l’organisation (il s’agit de passer d’une logique d’achat de sous-traitance à une logique de partenariat) et de la manière dont l’innovation est «pluggée» à l’ensemble du groupe (interfaces internes).
Collaborer s’apprend et se travaille (comme ici chez Safran), en particulier dans notre pays qui a une tradition de « management pyramidal » bien ancrée.
(1) Cette différence fondamentale est très bien décrite dans « Effectuation » de Philippe Silberzahn, Ed. Pearson, 2014.
*KPI : Key Performance Indicators
*RACI : Matrice de responsabilités (Responsible, Accountable, Consulted, Informed)