Le sens et l'identité selon Sloterdijk

Et si on parlait de sens et d’identité collective, mais pas comme d’habitude? J’ai eu la chance d’assister hier soir à la leçon inaugurale de Peter Sloterdijk au Collège de France. 🎓

par
JM Phelippeau
|
29
March
2024
Divers

Et si on parlait de sens et d’identité collective, mais pas comme d’habitude? J’ai eu la chance d’assister hier soir à la leçon inaugurale de Peter Sloterdijk au Collège de France. 🎓

Le titre de son cours, que le philosophe aborde avec l’humour caustique et inattendu qui le caractérise, est « L’Europe, un continent sans qualités ».

Comment donner en effet une identité collective et un sens à cette étrange entité politique qu’est l’Europe, au départ conglomérat de nationalités? Vous allez voir que c’est bien plus compliqué que pour une multinationale, et qu’il y a pourtant des pistes! Et c’est une bonne question à se poser, à deux mois des élections européennes…

Avec la référence implicite à l’œuvre de Musil « L’homme sans qualités », Sloterdijk souligne que l’Europe se définit d’abord par ce qu’elle a perdu : ses anciennes références nationalistes ou religieuses, ses empires et valeurs traditionnelles.

Et par ce à quoi elle a dit « plus jamais », la guerre.

Qu’elle est sortie de la grande histoire des quêtes et des héros pour entrer dans la post-histoire de la vie privée, du repos et des vacances.Qu’elle est vraiment née, dit-il, « au moment où elle a commencé à se déplaire. »

Où trouver de la force après l’ère de la colonisation, deux guerres mondiales, le nazisme et le communisme, quand « l’histoire est le cauchemar dont on essaie de se réveiller »? Quand on se retrouve soudain provincialisé?

Sans compter que l’Europe souffre d’un problème d’incarnation et de leadership. Elle n’a pas de CEO! « L’Europe, quel numéro de téléphone? » selon la fameuse boutade prêtée à Kissinger. A se demander qui le comité Nobel a appelé pour informer l’Europe de son Prix Nobel de la Paix en 2012!

Bref. Il est si facile de verser dans le déclinisme, la lassitude, la désillusion, ce que n’ont pas manqué de faire tous les auteurs depuis la fin du 19e siècle, de Barrès à Houellebecq, de Renan à Onfray. Du bore-out ou brown-out en somme, à leur manière.

Et pourtant…

L’Europe est aujourd’hui un refuge convoité par des centaines de millions d’humains sur trois continents.

Et Sloterdijk de citer Dostoievski : « l’homme est une créature bipède et ingrate. » L’Européen moyen est l’incarnation de l’ingratitude, le consommateur final d’un confort dont il n’a plus la moindre idée des sacrifices qui ont permis son existence.

Un peu comme si, tout à notre recherche d’idéologie et de sens pour justifier l’Europe (mais cela marche aussi pour notre travail…), nous étions devenus incapables de nous réjouir de son existence, de ce qu'elle a déjà accompli d'extraordinaire, et de simplement persévérer.

Je nous souhaite à tous un week-end de gratitude et de joie !